Planète-mère du peuple Narn.
Deux jours plus tard, dans la grande salle du Kha’ari, un amphithéâtre creusé à l'intérieur de la montagne, sans doute dans le but de protéger le gouvernement collectif de toute attaque aérienne depuis l'anéantissement de l'ancien Kha’ri par les troupes d'assaut Centauri, il y avait 115 ans de ça.
La constitution Narn ne requiérait pas de ses membres une présence permanente, mais deux fois par an, une session de quelques jours réglait les questions les plus graves. Les affaires courantes étaient d'ordinaire expédiées par un comité tournant de 7 conseillers, ceux du Premier Cercle. Aujourd'hui était jour de session des 7 cercles du Kha’ari et G'Kar, membre du 3ème cercle, se devait de comparaître pour s'expliquer sur la tragique affaire de Ragesh 3 où l'Empire Narn avait été forcé de se retirer sans gloire pour sauver la face devant le conseil de Babylon 5.
La réunion était houleuse, déjà, le conseiller Kel'Doch du second cercle avait parlé pour dénoncer "ceux qui avaient poignardé la glorieuse armée Narn dans le dos", "sans doute perdus par les influences étrangères auxquelles leur fonction les soumettait". G'Kar, sans être nommément désigné, avait senti le poids de tous les regards sur sa nuque, lui qui faisait face au siège du président de l'assemblée pour le jour, son ami du temps de la résistance contre l'occupant Centauri, G'Bdoj. Tout en haut de l'amphithéâtre, dans les quelques loges réservées à un public trié sur le volet, Na'Lak observait la scène, se fondant dans l'ombre pour n'être pas remarquée, son capuchon de novice rabattu sur sa tête. D'un geste, G'Bdoj donna la parole à G'Kar. Celui-ci se tourna et fit face sur l'estrade de pierre sculptée à une foule houleuse, sinon hostile, face à ses amis, ses pairs. S'il était affecté par la situation, il n'en laissait rien paraître et parla d’une voix forte.
G'KAR : qui m’accuse ici ? Est-ce moi qui ai vendu des armes aux pirates écumant le secteur proche de Babylon 5 ? Vous me connaissez vous tous, serais-je assez fou ou stupide pour laisser traîner des cristaux de données renfermant les preuves de notre implication dans l’attaque de Ragesh 3 ? Serais-je assez négligent pour « oublier » un Narn dans la station-mère des raiders ? Et d’abord, qui a eu cette initiative et ne m’en a pas informé ? Ragesh 3 était le premier pas de la reconquête de nos colonies perdues, le conseil de Babylon 5 m’avait laissé les mains libres, pas une sanction n’avait été adoptée contre nous, ni les Minbaris, ni l’Alliance Terrienne et encore moins les Vorlons n’auraient remué le petit doigt pour secourir les Centauris et j’aurais été gâcher celà ? En vérité, d’autres ici avaient intérêt à ce que j’échoue, d’autres qui sacrifient les intérêts des Narns pour assouvir leurs ambitions personnelles !
La voix de Kel’Doch s’éleva couvrant le brouhaha des protestations.
KEL’DOCH : des paroles, G’Kar, rien que des mots ! Où sont vos preuves ?
La silhouette noire dans la loge bougea un peu et se rejeta dans l’ombre, le temps n’était pas venu.
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Babylon 5, mess des officiers
Garibaldi, combattant une migraine dûe au manque de sommeil et à l’abus de café, rejoignit Sinclair et Ivanova qui terminaient d’avaler leur petit déjeuner. Ivanova, comme tous les matins, était de mauvaise humeur.
SINCLAIR : vous êtes en retard ce matin Michael, si vous ne vous dépêchez pas, Ivanova va terminer les corn-flakes.
IVANOVA : parce que c’était des corn-flakes ? J’aurais juré de vieux bouts de carton.
GARIBALDI : pas grave, pas faim. Du nouveau du côté de G’Kar ?
IVANOVA : non, mais j’ai croisé Vir Cotto ce matin, il avait l’air aussi vidé que vous, l’ambassadeur Mollari s’est encore fait plumer au poker ?
GARIBALDI : ça n’arrivera pas de sitôt, j’ai menacé tous les joueurs de poker potentiels de les vider comme des poulets et de jeter ce qui resterait d’eux aux Pak’maras, s’ils osaient seulement approcher l’ambassadeur. Du coup, il s’ennuie et il boit mon salaire, et le pire, c’est que c’est moi qui ai la gueule de bois ! Je vais faire une pétition pour réclamer le retour de G’Kar.
SINCLAIR (finissant son café): j’ai reçu un appel du Central Terrien il y a une heure, d’après nos services, il y aurait eu comme une sorte de révolution de palais sur Narn, un coup d’Etat ou quelque chose de la sorte.
IVANOVA : serait-ce trop demander au Central Terrien de nous fournir des renseignements un peu précis ?
SINCLAIR : le dernier espion trouvé sur Narn a été écorché vif et ce n’est pas une image, encore que tout a été enregistré pour ôter l’envie à d’autres de le remplacer. Depuis, l’Alliance Terrienne a les plus grandes difficultés à contacter des indicateurs narns, ils ont peur et je les comprends.
GARIBALDI : je n’ai toujours pas compris comment le gouvernement narn avait pû se montrer aussi négligent dans l’affaire de la vente d’armes aux raiders, ce n’est pas leur habitude de laisser traîner ainsi des preuves de leurs petits trafics, ça ne colle pas Jeff, il a dû se passer quelque chose. Et la façon dont G’Kar est parti, ça ne laisse présager rien de bon.
IVANOVA : j’ai essayé de discuter avec Na’Toth, de lui offrir un verre mais elle a refusé, assez poliment d’ailleurs.
Garibaldi sourit ; Na’Toth, polie ? Il se rappelait comment elle s’était jetée sur La Brute quand elle l’avait reconnue au spatioport, elle devait avoir été rudement sermonnée par G’Kar, c’est vrai que ses manières s’étaient améliorées ces derniers temps, quant à l’homme du bar, il ne sera pas près d’approcher une Narn de sitôt. La réflexion d’Ivanova le tira de sa rêverie.
GARIBALDI : heu… vous disiez ?
IVANOVA : peut-être devriez-vous questionner l’ambassadeur Delenn, les Minbaris sont toujours au courant de tout bien qu’ils fassent mine de se mêler de rien. S’il y a un risque de guerre civile sur Narn, mieux vaudrait l’apprendre au plus vite, ne serait-ce que pour faire face aux problèmes de sécurité sur la station, il y a plus de 7000 narns qui vivent ici... et s’ils commencent à s’entretuer...
SINCLAIR : j’ai rendez-vous avec Delenn dans le jardin dans une heure, d’ici là Susan, surveillez les communications avec la planète Narn, je ne tiens pas à ce qu’une folle rumeur n’aille mettre le feu aux poudres.
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Planète Narn.
Na’Lak vissa le silencieux de son fusil et ajusta la visée laser, balayant l’assemblée suprême Narn et s’attardant un peu sur les plus virulents des conseillers. L’aile gauche, celle du deuxième cercle était agitée de violentes vagues de protestations. Elle sourit doucement, le débat devenait de plus en plus intéressant.
G’KAR : Ragesh 3 nous aurait apporté l’appoint en céréales qui nous fait défaut depuis que les Centauris ont ravagé notre planète, plus un seul Narn n’aurait souffert de la faim. Qui d’autre que les grands fournisseurs de semences aurait eu intérêt à saboter l’opération ?
JE’DREJ (hurlant): c’est une infâmie ! Ne rejetez pas sur le Kazdrela votre faute ! Vous vous êtes aplati devant le conseil de Babylon 5, quel genre de Narn êtes-vous, G’Kar ?
G’STERN : un Narn réaliste, croyez-vous que notre armée soit de taille à lutter contre l’Alliance Terrienne, les Minbaris, la Ligue des mondes non-alignés ? Je ne parle pas des Vorlons, ils ne seraient pas intervenus, mais même si la république Centauri était prête à nous abandonner Ragesh 3, nous ne sommes pas en mesure de mener une guerre sur plusieurs fronts.
KEL’DOCH : vous n’êtes que des lâches et des défaitistes, vous nous avez fait perdre Ragesh 3 ! J’accuse G’Kar d’avoir vendu Ragesh 3 pour 75.000 ducats Centauris et cela, pour une vengeance personnelle. Nous savons tous que son père est mort par la faute de Maj’qala et qu’il veut se venger. Suis-je seul à savoir que Maj’qala commandait la section d’assaut sur Ragesh 3 ?
G’Kar, très calme, se tourna vers les membres du deuxième cercle et sourit. Kel’Doch, destabilisé, se tourna vers Je’Drel et Maal’Dus. Ce dernier se leva, produisant un cristal de données.
MAAL’DUS : nous avons la preuve que ces 75.000 ducats ont été versés sur un compte Drazi, au bénéfice de G’Kar.
La lueur rouge du laser se balada un instant à l’arrière de la nuque du vieux Narn.
G’KAR : le premier cercle du Kha’ari a eu le temps de visionner d’autres cristaux de données, malheureusement, les gens du Kazdrela ont manqué la séance, mais laissez-moi vous informer des derniers développements de la situation.
Sur un signe de tête, des gardes des corps d’élite prirent position dans l’assemblée.
JE’DREL (s’adressant aux membres du Kha’ari) : un coup d’Etat ? Et vous allez cautionner cela ?
G’KAR : pas un coup d’Etat, juste un coup de balai pour débarrasser Narn des affameurs du Kazdrela. Vous m’accusez d’être corrompu ? J’ai la preuve que c’est le Kazdrela qui a versé cette somme sur ce compte, nous avons retrouvé le Drazi qui a servi d’intermédiaire, Hayolat’saqdar. (un silence)
Je vois à vos yeux que vous reconnaissez ce nom, il a été salarié de votre usine du Nord pendant 2 ans. Il a témoigné contre vous, apparemment, il n’aurait reçu que 10% de ce qu’il espérait, ah, la mesquinerie vous perdra.
MAAL’DUS (se levant et prenant ses pairs du deuxième cercle à témoin): c’est une insinuation ridicule, pourquoi aurions-nous versé cet argent à votre nom ?
G’KAR : parce que j’étais votre plus dangereux adversaire. J’ai toujours été contre la mainmise de quelques-uns sur les semences. Celui qui contrôle les semences contrôle la planète et pour votre plus grand profit, vous avez laissé la famine se développer sur le continent sud, plus de 80.000 Narns ont péri par votre faute, vous êtes des criminels !
KEL’DOCH : retirez ces mots G’Kar ou je vous les ferai rentrer dans la gorge !
G’KAR (nullement impressionné): le Kazdrela est le seul producteur de semences, et ces semences sont stériles, volontairement. Vous créez des famines, à votre gré, pour assouvir vos ambitions politiques en contrôlant les plus fragiles d’entre nous.
MAAL’DUS (essayant de paraître calme) : C’est une théorie fantaisiste, G’Kar, nous nous sommes proposés d’aider les populations de Zarda.
G’STERN : en leur vendant des semences au marché noir, à plus de 30 fois le prix normal ? J’étais à Zarda, j’ai vu les enfants mourir, décharnés, les mères suppliant qu’on les achève parce qu’elles ne supportaient plus ce spectacle et j’ai vu vos gens, distribuant quelques sacs de flac et négociant en sous-main, vous êtes des pires que les Pak’maras, à vous repaître de cadavres.
G’KAR : Ragesh 3 aurait brisé votre monopole, vous ne pouviez laisser faire cela, n’est-ce pas ? Je demande au premier cercle de produire mes preuves et qu’on laisse le Kha’ari juger.
G’Bdoj acquiesça. Kel’Doch regarda autour de lui, paniqué. Les gardes avaient pris position, les issues étaient bloquées et il voulait sauver sa peau, désespérément. En une fraction de seconde, il se jeta sur G’kar, tout proche, appuyant une lame courbe contre sa gorge.
KEL’DOCH : laissez-moi partir ou je le tue.
Na’Lak appuya sur la détente et le crâne du Narn explosa.
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Babylon 5, les jardins.
L’ambassadeur Delenn était assise sur son banc préféré, faisant face au jardin de pierre japonais. Elle sourit en voyant le commandant Sinclair arriver.
SINCLAIR : pardonnez mon retard ambassadeur, j’ai été retenu par l’ambassadeur Mollari qui voulait savoir si j’avais des nouvelles de la situation sur Narn.
DELENN : oui, bien sûr, il s’inquiète de voir les plus durs du régime l’emporter, cela peut se comprendre.
SINCLAIR : j’ignorais même cela. On nous a juste dit qu’il y aurait eu une sorte de coup d’Etat au sein du Kha’ri, des morts dans les rues de la capitale et je crains une guerre civile qui aurait de graves répercussions au sein de la population Narn de la station. Garibaldi est sur les dents depuis qu’on a appris la nouvelle.
DELENN : il n’y aura pas de troubles parmi les civils Narns, commandant. Ils soutiendront le nouveau Kha’ri, j’en suis certaine.
SINCLAIR : pourriez-vous m’éclairer davantage ambassadeur ?
DELENN : ce n’est pas secret, G’Kar m’a envoyé un message il y a deux heures de cela, demandant de l’aide à Minbar.
SINCLAIR (alarmé): une aide militaire ? Vous n’allez pas accepter une alliance avec G’Kar, pas après l’affaire de Ragesh 3 !
DELENN : non, non, commandant, il m’a demandé une aide humanitaire pour faire face à la famine qui dévaste le continent sud.
SINCLAIR : j’ignorais cela.
DELENN : les Narns sont un peuple fier, il a fallu à G’Kar beaucoup de courage pour demander de l’aide. Voyez-vous commandant, la guerre d’indépendance qui a suivi l’occupation Centauri a laissé la planète dévastée. Les terres autrefois vertes et fertiles n’arrivent plus à produire de quoi nourrir la population et un petit nombre de Narns, réunis dans le Kazdrela, ont pris le contrôle de la production des semences. Ils les ont génétiquement modifiées pour qu’elles arrivent à se développer malgré la terre polluée, malgré les changements climatiques mais ce sont des graines stériles. Le paysan ne peut utiliser le fruit de son travail pour réensemencer ses champs, il est totalement tributaire du Kazdrela.
SINCLAIR : on a connu ce problème sur Terre, mais jamais à ce point.
DELENN : pour faire davantage de profits, le Kazdrela a créé cette famine totalement artificielle. C’est pour faire face que l’aile dure du régime a lancé cette attaque sur Ragesh 3, pas pour prendre sa revenche sur les Centauris comme nous l’avions d’abord pensé mais pour mettre la main sur les semences et les greniers à céréales de cette colonie agricole. Il y a eu plus de 80.000 morts de faim en six mois, commandant et tout cela pour satisfaire les ambitions de quelques membres du Kha’ari.
SINCLAIR : si seulement G’Kar avait parlé, j’aurais pu convaincre Proxima 3 et la Terre d’envoyer des secours alimentaires, nous en aurions fait part au conseil...
DELENN : il ne l’aurait pas accepté, ç’aurait été une preuve de faiblesse et les Centauris l’auraient exploitée, c’est ce qu’il m’a dit en tout cas.
SINCLAIR : alors ce coup d’Etat c’est... ?
DELENN : le Kha’ari a eu la preuve de la trahison du Kazdrela, ce sont ses dirigeants qui ont armé les raiders et laissé les cristaux de données impliquant l’armée, ils ont fait échouer l’attaque de Ragesh 3 pour garder leur mainmise sur la planète. G’Kar les a fait arrêter et le Kha’ri a voté à l’unanimité pour leur exécution comme traîtres. Je n’approuve pas la méthode bien sûr, mais nous avons décidé d’accorder à Narn l’aide demandée tant en semences, fruits, légumes qu’en ingénieurs agricoles de pointe. Compte tenu de ce qui s’est passé ces derniers temps, G’Kar n’a pas osé vous demander de l’aide mais je crois que si vous la proposiez de vous-même, il l’accepterait volontiers.
SINCLAIR : il l’aura.
DELENN : j’espère qu’ainsi, nous aurons stabilisé ce secteur et calmé les appétits d’expansion du régime Narn.
SINCLAIR : je vous remercie de m’avoir fait part de la situation, Delenn, merci.
Elle inclina la tête et lui sourit.
DELENN : le premier devoir d’un Minbari est de servir, je suis heureuse de pouvoir le faire.